Livre
Le mot « radical » vient de radix, la « racine ». Par définition, la radicalisation - quelle que soit son expression religieuse, politique, sentimentale, professionnelle, sportive ou culturelle - offre à ses membres de nouvelles racines, une nouvelle famille, parfaitement aimante cette fois, reconnaissante, protectrice, glorieuse. Une seule condition cependant, pour jouir de cette nouvelle identité, il faut tout abandonner de l'ancienne.
Rien de mieux pour lutter contre un phénomène que de l'observer chez soi à une plus petite échelle, le comprendre et s'en guérir autant que possible. Car la radicalisation se nourrit de la radicalité et propose de la justifier. Celle de ses membres, mais aussi, paradoxalement, celle de ses ennemis qui pensent que l'extrémisme est la meilleure arme pour s'en défendre.
Si l’on ne comprend pas les nombreux bénéfices dont profitent les personnes qui entrent dans un groupe radicalisant, la force d’attraction que ce dernier exerce nous échappera et la lutte contre la radicalisation sera vaine. Il serait plus simple de croire que ces personnes sont faibles et se laissent embrigader, laver le cerveau, utiliser, endormir. Ou qu'il s'agit de malades mentaux, de barbares, d'animaux, de démons. C'est pourtant ainsi qu'elles décrivent les autres.
On ne se radicalise pas une fois adulte, ni à son adolescence. On nait radical. La pensée en noir et blanc, le rejet de ce qui est différent, la haine du changement, le besoin de jouissance, les crises de colères et une crédulité hors norme, tout cela est typique de l'enfance. Le principe même de l'éducation consiste à déradicaliser son enfant pour en faire un être social, qui arrive à trouver une satisfaction plus grande dans son interaction avec le réel plutôt que dans son monde imaginaire où il est le héros. Les problèmes commencent quand on lui fait croire, une fois plus grand, que ce monde existe bien et qu'il suffit juste de se battre pour le faire advenir.
Quels que soient leur champ d’expression, les radicalisants croient à une causalité finie, plongeant sa source dans un espace connu, qui n’est précédé par rien. Une cause à la base de toutes les causes, comme coupée, déracinée, et qui tient en une "catch phrase" ou phrase d'accroche, courte, cinglante, censée tout balayer sur son passage. L’adepte de la cause sans cause transforme l’histoire en un objet clos, ferme, lumineux, qu’il peut montrer aux autres pour guider leur chemin ou dont il peut se servir pour les culpabiliser.
Apprendre l'humilité, l'ouverture à l'altérité, au changement, aux nuances, à l'inconnu. Ne plus croire l'autre mais chercher à le comprendre. Questionner le propos extrémiste plutôt que d'entrer dans le conflit qu'il chercher à ouvrir. Accepter que le sens de sa vie n'est pas nécessairement glorieux, que la toute-puissance et la totalité sont des illusions, qu'il est acceptable de ne pas avoir réponse à tout, qu'il vaut mieux vivre avec des stimulations modérées qu'avec des excitants qui vont troubler l'humeur et la raison. Ce sont autant de pistes que nous proposons de développer.
Le travail de Thomas Bouvatier, Docteur en psychologie, sur la formation des groupes, les conditions de leur équilibre, de leur délitement et de leur extrémisme, découle d’une longue expérience sur le terrain clinique, ainsi que d’une recherche doctorale. Un travail qui a donné lieu à des cours, conférences et formations pour des institutions privées et publiques telles que les mairies, préfectures, collèges, universités en France et à l'étranger, la Croix Rouge, la cellule négociation du RAID, le CNAM, divers hôpitaux, la Protection Judiciaire de la Jeunesse, le Radicalisation Awareness Network de la Commission Européenne. Il a fait l’objet d’une thèse et de différentes publications : Le Monde, Le Point, la revue de l'Institut Français des Relations Internationales, celle du Défis du Département Intelligence et Sécurité Economiques, HuffPost, ou les Presses Universitaires de France ("Petit manuel de contre-radicalisations", 2017).
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THOMAS BOUVATIER